Quand le « Projet de territoire de Wallonie picarde » ne se critique pas (mais s'encense)

Fin octobre 2009, je recevais par courriel une demande d’une dame de « Culture Wapi », l’Agence culturelle de Wallonie picarde, qui souhaitait mon court avis sur un document de 133 pages intitulé Wallonie picarde 2025, Projet de territoire, Rapport du Conseil de Développement. « N'hésitez pas à vous carrer dans votre fauteuil et à vous exprimer sans faire de rond de jambe », m’écrivait cette dame, m’engageant par la suite à  ne pas manier l’encensoir mais à franchement dire ce que je pensais, promettant de son côté de publier mon bref commentaire dans je ne sais plus quelle publication.

 

La dame et Culture Wapi m'honoraient ainsi en s’adressant à moi pour cette (minuscule) affaire. Et, rapidement, je m’exécutai en leur envoyant un texte critique à propos du « fantasme » entretenu par quelques politiques, sociopolitiques et socioculturels (mais il faut bien que tout le monde mange, non ?) tout au long des 133 pages. (Sans doute suis-je trop injuste vis-à-vis de l'un ou l'autre et ne m’en excuserai jamais assez.)

 

Le 13 avril 2010, alors que j’avais déjà complètement perdu de vue cette (dérisoire) affaire, je reçus dans ma boîte aux lettres, presqu’en deus ex machina, une remarquable revue, Wapi à chaud, Projet de Territoire, hors série, (je comprends que pareil écrit, exclusivement flatteur à l’endroit du Projet de Territoire de la Wallonie picarde, soit hors de tout), que personne ne lira jamais et en tout cas pas moi, mais qui a donné du boulot à l'un ou l'autre. C'est toujours ça.

 

Mais voilà. Mon texte critique qui devait sans doute paraître dans cette publication, n’y était pas. J’ai donc immédiatement renvoyé mon texte qui, à ma connaissance, n'a jamais été publié nulle part, alors que la dame, au nom de Culture Wapi, m’avait sollicité et certifié que mon texte serait publié tel quel.

 

 « Belle opération de com' au service de l'empereur Demotte », me dit l’un de mes correspondants.

 

« Et c'est ce qui m'inquiète. Ce consensualisme intéressé. Quand je vois des organisations d'éducation permanente jouer les valets ou les carpettes de l'empereur, ça me rend malade. C'est sa plus grande victoire : s'être constitué un aréopage de courtisans puisés dans toutes les familles idéologiques et politiques », ajoute ce commentateur duquel je partage le point de vue.

 

Avez-vous lu N’oubliez pas ! Faits et gestes de la présidence Sarkozy, sous la direction d'Edwy Plenel (Don Quichotte, 2010) ? Vous devriez, car vous y apprendriez sans doute beaucoup de choses sur l’art de gouverner par la « gouvernance » et par la communication.

 

Mais l’essentiel n’est pas Rudy Demotte, le primordial est que la critique (demandée) n’est même plus publiée… parce que précisément critique !

 

Les gens soumis étant du pain béni pour le pouvoir, il est essentiel que le combat contre la pensée normalisée se poursuive.

 

C’est le député bruxellois Jean Cornil qui, envoyant en ce début d’année 2010 ses vœux à quelques-uns, nous souhaitait : « A toutes et à tous, un changement de paradigme de développement, des bouleversements intellectuels déterminants, l’ébranlement des certitudes de la croissance, une quête de sens et de bonheur qui soumette enfin l’insatiabilité des désirs, une véritable politique de civilisation, la transformation de notre logiciel mental, la marche vers mille révolutions intérieures, la conscience aigue de la brièveté et de l’éphémère ».

 

J’eus préféré ce genre d’utopie comme projet d’avenir pour le Hainaut Occidental (pardon : pour la Wallonie picarde !), et non la sempiternelle rengaine connue du développement à tous crins, selon le paradigme et les méthodes actuelles qui mènent au ravin.

 

La révolution industrielle arrive à son terme, même si dans le jargon des experts, nous entrons dans la troisième, celle de l’électronique et de l’informatique. L’exploitation des réserves naturelles, l’érosion de la biodiversité, les monopoles des marchés, la capitalisation individuelle des ressources de la planète, l’ivresse de la production, le triomphe de la cupidité, tout n’est que représentation illusoire du progrès.

 

Certes, les progrès de la technoscience ont permis des avancées incroyables, mais ces victoires non régulées ont ouvert la boîte de Pandore. L’évolution s’est doublée d’une légitimité de l’enrichissement individuel, qui atteint désormais l’odieux des sursalaires, des sur-retours sur investissement et des sur-parachutes dorés, avec une indifférence totale pour ceux qui n’y accèdent pas et une insouciance absolue des effets pervers engendrés par ce type de développement.

 

La production est passée de la satisfaction des besoins légitimes à celle des désirs sans fin. Le prix à payer en a été une pollution intensive de l’air, du sol et du sous-sol, laissant la terre surexploitée et exsangue.

 

Notre emprunte écologique est trop forte. Il faudrait trois Terres pour que l’ensemble des humains atteignent le niveau de développement de l’Occident. Or, nous n’aurons jamais qu’une seule Terre !

 

Nous devrons bientôt payer pour cette dérive mais nous risquons bien, si nous ne nous ressaisissons pas, d’être insolvables dans un futur proche.

 

Pour le fond du contenu du Projet de territoire de la Wallonie picarde, ce sont surtout ces questions-là, celles de l’avenir durable, absolument vitales, que j’aurais voulu voir prises bien davantage en compte.

 

Pour la forme dérisoire de ce non-débat, ce type de pratique dont je viens d’être « victime », étouffe toute velléité de pluralisme, de débat, de critique, de pensée (divergente). A l’abri des moyens de com’ qu’ils contrôlent, nos oligarques se protègent de toute critique. Seuls les obligés, les affidés, les laudateurs et les thuriféraires, fournissant appuis, facilités, commodités et encens, seront payés de retour… et publiés !

 

Méfiez-vous de ceux qui vous demandent votre avis critique et ne le publient pas parce qu’il est… critique.

 

Ci-dessous le texte envoyé à « Culture Wapi » (quel nom stupide !) début novembre 2009 et le texte que Michel Guilbert, également sollicité mais non-publié, a envoyé.


Brève critique de « Wallonie picarde 2025 - Projet de territoire - Rapport du Conseil de Développement »

Si je me souviens bien, hier, c’était un prof de l’UCL, un certain Michel Quévy, je crois, qui, au temps de la SIDEHO, tenait la vedette, prévoyant l’avenir et promettant le ciel et la terre. Aujourd’hui, c’est l’Institut Destrée.

 

Deux méthodes de travail et de pensée différentes, belles intelligences toutes les deux, mais qui ne me convainquent, ni l’une, ni l’autre. Mais que l’on ne s’inquiète pas, il y aura toujours des réfractaires et des incroyants dans les rangs.

 

Je pense, quant à moi, que la seule issue pour l’avenir probablement sombre ou pour le moins très difficile qui nous attend (cessons donc de penser en termes de croissance et de développement, alors qu’il y a la moitié du monde qui se trouve dans la misère et qu’un milliard d’humains meurent de faim) est de restituer les questions essentielles à la population. Ces questions n’appartiennent ni aux experts, ni aux spécialistes, ni aux scientifiques, ni aux politiques, ni aux industriels, ni aux financiers, qui se les sont appropriées. Elles appartiennent à tous les citoyens. Et tant que ceux-ci ne se seront pas (ré)approprié ces questions, nous auront beau faire.

 

Sait-on que nous changeons de monde et de civilisation ?

 

Quévy et « Destrée » sont de belles intelligences, font de belles démonstrations, élaborent de belles et superbes hypothèses et thèses, mais cela, à mon sens (mais qui suis-je pour juger ainsi ?) ne sert guère le « schmilblick ».

 

Demain, nous aurons davantage de chômeurs (d’autres spécialistes nous le prédisent) et la catastrophe des subprimes recommencera un jour prochain (d’autres super spécialistes nous le prédisent également), tandis que les gens, puisque l’on fait tout pour qu’il en soit ainsi, regarderont jouer au foot (avec ou sans l’Excel) ou iront se divertir ailleurs, tandis que des humains mourront de faim.

 

Alors, la « Wapi » et sa subordination à Lille-Métropole… ? Enfin. A chacun sa philosophie.

  

Sachons aussi que les gens de la région d’Ath-Lessines-Enghien (soit un tiers de la Wallonie Picarde – belle minorité !) trouvent essentiellement du travail à Bruxelles, vont surtout à l’université à Mons, à Bruxelles ou à Louvain-la-Neuve, fréquentent volontiers les hôpitaux universitaires de Bruxelles, vont souvent au cinéma, au musée, en sortie ou faire des courses à Bruxelles ou à Mons. Alors, Lille-Métropole… ? Pour ceux qui sont collés à la France, je peux bien comprendre leurs envies et fantasmes. Mais pour nous, ceux d’Ath-Lessines-Enghien, on rigole ou quoi ?

 

Ce texte est un texte technocratique (vocabulaire creux ; on peut tout y mettre), avec un toilettage communicationnel évident : lire le plan.

 

Diagnostic ? On relève les termes : fragile, vigoureux, confus, éclaté, menacé, bridé… Enjeux ? La veine n'est pas moins cocasse : gouvernance (gestion sans axe politique autre que le maintien de ce qui existe avec éventuel lifting), métropolisation, maîtriser, impulser, compétitivité du territoire, dualisation, redéploiement, etc.

 

Voudrait-on faire un sketch, toute la matière y est !

 

Cela me fait penser au Contrat d'Avenir pour la Wallonie que j'ai lu il y a 4 ou 5 ans, qui était de la même veine et dont personne ne parle plus. Il ne fallait rien oublier afin d'éviter toute critique ! Tout, tout y était, sauf… des axes forts et concrets.

 

La vraie question est : qui a commandé ce texte (ce n'est pas une étude, c'est une compilation) et combien cela a-t-il coûté ?

 

Walter De Kuyssche

Novembre 2009


Wallonie picarde, où est l'audace ?

Un important catalogue de projets intéressants, mais surtout de vœux pieux (et parfois vieux), voilà comment m’apparaît le « Projet de territoire Wallonie picarde 2025 ». Un projet sympathique, trop consensuel, et de ce fait – à l’image de son diminutif – gentillet, sans ambition forte, sans choix déterminant.

 

Quid novi sub sole ?

 

Le développement durable est évoqué. Mais, comme d’autres thèmes, de manière floue et contradictoire. Et sans être posé comme la pierre angulaire du projet de territoire. D’autres régions, d’autres villes se sont donné, en la matière, des objectifs autrement forts, ambitionnant de se situer dès demain dans une perspective post-Kyoto, d’être en CO2 neutre à l’horizon 2020 ou 2025, de développer de réelles alternatives en termes d’énergie, de mobilité, d’axes économiques.

 

Comment comprendre qu’un projet comme celui du centre de loisirs et de glisse entende s’implanter, sans opposition politique majeure, au cœur du Parc naturel des Plaines de l’Escaut ? Aujourd’hui, on a l’impression que les surfaces agricoles (quelle est la place de l’agriculture dans ce projet ?) n’ont plus pour vocation que d’accueillir de gigantesques centres commerciaux, des terrains de golfs, des lotissements d’habitations ou des zones d’activité économique toujours plus dévoreuses d’espace. La ville s’installe à la campagne !

 

Notre région réclame aujourd’hui des choix clairs, fermes, tranchés C’est sur le positionnement de la « Wapi » sur des dossiers comme ceux-là qu’on verra si elle a réellement une longueur d’avance.

 

La culture de qui, pour qui et avec qui ?

 

Le chapitre consacré à la culture, s’il comporte des propositions intéressantes, reste globalement faible. Quelle place pour l’éducation permanente ? Quelles réflexions par rapport à des politiques tant de démocratisation de la culture que de démocratie culturelle ? Comment réduire la fracture culturelle ? Comment mettre fin au désert culturel dans lequel vivent certaines de nos communes rurales ?

 

Que la région s’appuie sur les arts du cirque et de la rue, très bien, ils représentent quelques-uns de ses atouts majeurs. Qu’elle travaille à partir du patrimoine et du végétal, excellente idée ! Mais je me méfie des « événements » que certains entendent créer de toutes pièces. Quel est leur sens ? A quelles finalités répondent-ils ? Ils s’inscrivent le plus souvent dans une démarche de consommation et de promotion. Dans la « com’ ». Une com’ qui envahit un peu trop ce projet de territoire. Aux actes, citoyens !

Michel Guilbert

Texte complet sur

http://moeursethumeurs.blogspot.com/2009/11/wallonie-picarde-ou-est-laudace.html

09.11.09